Pendant près de neuf ans, des milliers de tonnes de déchets auraient été déversées illégalement dans la nature, polluant sols, champs agricoles et réseaux d’eau dans plusieurs départements du Grand-Ouest. Au cœur de ce scandale environnemental, un chef d’entreprise et sa fille, aujourd’hui mis en examen, sont soupçonnés d’avoir mis en place un système frauduleux aussi rentable que destructeur. Derrière des tarifs attractifs proposés aux collectivités et aux particuliers, l’enquête judiciaire révèle une gestion opaque des déchets, aux conséquences financières et écologiques considérables.
Une enquête déclenchée par une pollution locale
L’affaire débute en avril 2019 à Saint-Jean-sur-Mayenne, dans le département de la Mayenne. Les autorités constatent alors une pollution anormale des eaux de lagunage, rapidement attribuée à un déversement illégal provenant d’un camion hydrocureur. Ce véhicule appartient à une entreprise locale spécialisée dans le traitement des déchets. Alerté, le parquet d’Angers ouvre une enquête qui va progressivement révéler un système de gestion frauduleuse des déchets à grande échelle.
Selon le procureur de la République d’Angers, Eric Bouillard, les premières investigations ont mis en évidence des pratiques répétées et organisées, bien au-delà d’un simple incident isolé.
Des déchets abandonnés sur plusieurs territoires
Les sociétés concernées, regroupées au sein d’une holding basée dans la Manche, proposaient leurs services à des collectivités locales, des entreprises et des particuliers, avec des tarifs très concurrentiels. Mais derrière cette attractivité commerciale se cachait une réalité bien plus sombre.
D’après les enquêteurs, les camions de l’entreprise déversaient ensuite les déchets dans des circuits d’eau, des champs agricoles, des regards d’eau pluviale ou directement sur le sol. Ces pratiques se seraient étendues de la Basse-Normandie aux Deux-Sèvres, touchant de nombreuses communes sur plusieurs années.
Les auditions de salariés et d’anciens employés évoquent des consignes claires données pour utiliser des filières illégales d’évacuation, contournant totalement les obligations légales en matière de traitement des déchets.
Des millions d’euros de bénéfices frauduleux
Les perquisitions menées à partir de 2023 ont permis la saisie de nombreuses factures et documents administratifs. Leur analyse a révélé l’existence de faux documents, destinés à masquer la véritable destination des déchets et à brouiller leur traçabilité.
En évitant de payer la taxe sur les activités polluantes et en ne respectant pas les processus réglementaires de traitement, le groupe aurait généré environ quatre millions d’euros de bénéfices illicites. Si le préjudice financier est déjà chiffré, le préjudice écologique, lui, serait « bien supérieur » à deux millions d’euros, selon le parquet, sans pouvoir être évalué précisément à ce stade.
Des mises en examen lourdes de conséquences
Le chef d’entreprise, âgé de 61 ans, et sa fille de 33 ans, actionnaire à hauteur de 30 % de la holding, ont été mis en examen pour de nombreux chefs d’accusation : abandon et gestion irrégulière de déchets, faux et usage de faux, pollutions, abus de biens sociaux, blanchiment de fraude fiscale et exploitation irrégulière d’installation classée.
Les faits reprochés s’étalent de janvier 2016 à décembre 2025. Plus de deux millions d’euros ont déjà été saisis par la justice sur leur patrimoine personnel. Plusieurs collaborateurs ont également été placés en garde à vue, avant d’être relâchés sans poursuites à ce stade.
Une affaire emblématique des dérives du secteur
Ce dossier illustre les dérives possibles du secteur du traitement des déchets, lorsque les impératifs financiers prennent le pas sur les règles environnementales. Il rappelle aussi l’importance des contrôles, de la traçabilité et de la responsabilité des dirigeants face aux enjeux écologiques.
Alors que la justice poursuit son travail, cette affaire pourrait devenir un cas emblématique de lutte contre la pollution industrielle et la fraude environnementale en France. Elle pose, une fois de plus, la question de la protection durable des territoires face à des pratiques aussi lucratives que destructrices.
