À l’occasion de la Paris Creator Week, une table ronde s’est tenue le 8 décembre à Station F autour d’un thème central : « Les nouvelles voix : journalisme, création et responsabilité sur YouTube ».
Modérée par Barthélemy Collin, elle réunissait Amélie Deloche (Paye Ton Influence), Cyrielle (Amistory_), Charlotte Vauthier (Ok Charlotte) et Mamadou Dembelé (The Impact Story).
Au cœur du débat : les risques majeurs qui pèseront sur l’influence et l’information en ligne dans les cinq prochaines années.
L’audience comme contre-pouvoir : l’alerte d’Amélie Deloche
Interrogée sur le rôle des commentaires dans la régulation des contenus, Amélie Deloche rappelle que les communautés ont un vrai pouvoir d’action. Selon elle, les créateurs « ne sont riches que des personnes qui les suivent ». Les retours du public, notamment lorsqu’un contenu est trompeur, non éthique ou proche de la désinformation, peuvent provoquer une prise de conscience immédiate.
Avec Paye Ton Influence, elle raconte intervenir régulièrement auprès de créateurs pour signaler du greenwashing ou des erreurs factuelles, avec un dialogue souvent constructif. L’audience devient ainsi un acteur central dans la construction d’une influence plus responsable.
L’IA et les deepfakes, une menace systémique
Pour Cyrielle (Amistory_), la principale menace à venir est la montée des deepfakes et de l’IA générative. Elle souligne la facilité croissante de faire dire à n’importe qui n’importe quoi en imitant voix, visage ou expressions, même pour des personnalités publiques.
Elle constate aussi une prolifération de comptes diffusant des fausses informations sur TikTok, souvent présentées comme des actualités crédibles. Une dérive qui, selon elle, va s’intensifier, accentuant la perte de confiance dans les contenus circulant en ligne.
Charlotte Vauthier : reconnaître les journalistes indépendants
Pour Charlotte Vauthier (Ok Charlotte), la menace ne vient pas seulement de la technologie. Elle s’inquiète du mépris persistant de certains médias traditionnels envers les journalistes indépendants présents sur YouTube.
Selon elle, ces créateurs produisent pourtant des contenus d’information de grande qualité. Si cet écosystème n’est pas davantage soutenu et reconnu, il risque de laisser un vide occupé par des contenus médiocres ou mensongers. Favoriser la visibilité des journalistes indépendants devient une condition essentielle pour maintenir un paysage médiatique sain.
Influenceurs et lobbies : une désinformation de plus en plus stratégique
Amélie Deloche met également en garde contre l’instrumentalisation croissante des influenceurs par des groupes disposant d’importants moyens financiers, notamment dans l’agro-industrie.
Elle évoque le cas d’une influenceuse ayant déclaré publiquement que « les pesticides sont des médicaments pour les plantes » lors d’une collaboration avec Bayer-Monsanto, sans avoir conscience de la portée du message ni des enjeux environnementaux liés aux pesticides.
Pour elle, les industries maîtrisent des sujets techniques complexes que peu de créateurs sont en mesure d’appréhender. Ce déséquilibre ouvre la voie au greenwashing et à la diffusion de messages trompeurs, dans un contexte où la concurrence pousse certains influenceurs à accepter des partenariats risqués.
Mamadou Dembelé : “la menace vient aussi des créateurs eux-mêmes”
Mamadou Dembelé pointe un autre risque : celui des influenceurs eux-mêmes, en particulier les créateurs disposant d’audiences gigantesques et capables de faire basculer l’opinion publique.
Il cite l’exemple de Joe Rogan, le podcasteur le plus écouté au monde, qui donne régulièrement la parole à des climatosceptiques ou à des tenants de théories complotistes. Leur parole, couplée à la confiance de leur audience, peut profondément modifier les perceptions et accélérer la diffusion de la désinformation.
Contrairement aux deepfakes, prévient-il, ce type de dérive est plus difficile à identifier car il émane d’un être humain perçu comme authentique et légitime.
Un avenir qui repose sur l’éthique, la vigilance et la collaboration
Cette table ronde dresse un paysage clair : les risques se multiplient et se combinent.
Entre l’essor des IA, la pression des lobbies, le manque de reconnaissance des journalistes indépendants, la puissance des créateurs à grande audience et le rôle de plus en plus stratégique des communautés, l’influence entre dans une phase critique.
L’avenir de l’information sur YouTube dépendra autant de la technologie que de l’éthique, de la professionnalisation et de la capacité de chacun — créateurs, médias, plateformes, audiences à agir collectivement pour préserver la qualité et la crédibilité des contenus.

