Coup de tonnerre dans l’univers de la e-santé. Doctolib, leader incontesté de la prise de rendez-vous médicaux en ligne, vient d’être condamné à une amende de 4,6 millions d’euros par l’Autorité de la concurrence. En cause : un abus de position dominante sur les marchés de la téléconsultation et de la gestion de rendez-vous médicaux. Une sanction qui intervient seulement une semaine après que la société ait annoncé sa rentabilité. La firme, qui revendique 80 millions d’utilisateurs en Europe, entend toutefois faire appel de cette décision qu’elle juge « injustifiée ».
Une domination incontestable sur le marché de la e-santé
Créée en 2013, Doctolib s’est rapidement imposée comme un acteur incontournable de la santé numérique. Avec des parts de marché estimées entre 70 et 90 %, la plateforme est devenue quasi hégémonique dans la gestion de rendez-vous médicaux et la téléconsultation.
Selon l’Autorité de la concurrence, cette domination résulte non seulement d’une notoriété équivalente à celle de Netflix, Google ou Amazon, mais aussi de barrières à l’entrée particulièrement fortes qui freinent l’émergence de concurrents.
Doctolib est ainsi accusée d’avoir tiré profit de cette position pour renforcer encore son contrôle sur le marché français, au détriment d’autres acteurs comme Cegedim Santé, à l’origine de la plainte déposée en 2019.
Des pratiques contractuelles jugées abusives
Entre 2017 et 2023, Doctolib aurait inclus dans ses contrats avec les professionnels de santé des clauses d’exclusivité empêchant ces derniers de recourir à des services concurrents. Ces dispositions auraient contribué, selon l’Autorité, à verrouiller le marché et à limiter la concurrence.
Or, ces clauses ont été supprimées depuis 2023, mais leur existence passée a suffi à fonder une partie de la condamnation.
De plus, l’Autorité reproche à la société une acquisition jugée prédatrice : celle de MonDocteur, une plateforme concurrente rachetée en 2018 pour 60 millions d’euros. Selon les éléments du dossier, Doctolib aurait eu la volonté interne de « tuer le produit », considérant que cette opération lui permettait d’obtenir une position sans concurrence en France. Cette fusion a ainsi contribué à renforcer un monopole de fait sur le marché national.
Une décision inédite dans l’histoire de la concurrence
C’est la première fois que l’Autorité de la concurrence française sanctionne une entreprise pour acquisition prédatrice. Ce précédent souligne la vigilance accrue des autorités face aux géants du numérique, notamment dans les domaines stratégiques comme la santé.
L’amende de 4,6 millions d’euros illustre la volonté de l’État de préserver une concurrence saine et équitable, malgré la puissance économique et l’aura technologique de Doctolib.
Cependant, cette sanction intervient dans un contexte délicat : l’entreprise venait tout juste d’annoncer sa première rentabilité après plus de dix ans d’existence, et affiche une croissance soutenue à travers l’Europe.
Doctolib se défend et prépare son appel
Face à cette condamnation, Doctolib a immédiatement réagi en publiant un communiqué dénonçant une « lecture erronée de son activité ». Selon elle, l’entreprise n’est pas en position dominante, puisqu’elle n’équiperait que 30 % des soignants français en 2025, contre 10 % lors de la plainte initiale.
Doctolib affirme avoir simplement modernisé un marché verrouillé depuis 30 ans, en proposant des outils numériques innovants et sécurisés. L’entreprise qualifie même son rachat de MonDocteur de « démarche banale de croissance externe », visant à unir deux PME pour accélérer l’innovation.
Si elle a décidé de faire appel de la décision, cette procédure ne suspend pas pour autant l’amende. En attendant, la société continue d’assurer ses missions auprès de plus de 400 000 professionnels de santé et de millions d’usagers en Europe.
L’affaire Doctolib marque un tournant majeur pour le secteur de la santé numérique en France. Elle pose la question des limites du succès entrepreneurial lorsqu’il se transforme en domination écrasante sur le marché.
Si la condamnation pour abus de position dominante fragilise l’image d’une start-up longtemps présentée comme un modèle, elle soulève aussi un débat essentiel : comment concilier innovation, croissance et concurrence loyale dans un secteur aussi sensible que la santé ?
La décision de justice à venir, à la suite de l’appel de Doctolib, pourrait bien faire jurisprudence et redéfinir durablement les règles du jeu entre les géants du numérique et leurs challengers.
